Thouars, Chapelle Jeanne d’Arc, 2005

 

L’exposition de Thouars était l’occasion de remontrer les travaux présentés à Gibellina, cependant l’architecture de la chapelle proposait un nouveau jeu d’espaces qui était investi sur deux étages. Une nouvelle série de verres de lunettes argentés ont pris place le long d’une ligne autour de la chapelle comme un chemin de croix. Un dessin en mouvement était projeté, prenant  place dans l’escalier entre la crypte et la nef de la chapelle.

Peter Briggs à Thouars

Entre les deux extrêmes de l’impossibilité et de la négation d’un projet contemporain artistique à fin d’instaurer un dialogue avec le patrimoine architectural et par ailleurs l’abandon de l’histoire sous la forme de dissolution cannibale de tout ce qui appartient à un contexte préexistant, la Ville de Thouars a le mérite d’avoir développé une remarquable opérativité dans le rapport entre l’architecture historique et ses interférences avec les arts plastiques contemporains. La Chapelle Jeanne d’Arc, lieu de culte déconsacré et utilisé en tant que lieu d’expositions, est devenue une ressource qui adjoint au projet de l’art contemporain une nouvelle dimension narrative.

Pour Peter Briggs qui, dans son travail, se fait l’interprète d’un passé chargé par l’instant que nous vivons, l’interaction avec le site est un moyen pour reconstruire la mémoire sur différents niveaux de la perception. Conscient de l’analyse formelle de la chapelle qui suit des codes architecturaux néogothiques, le sculpteur réalise un projet qui s’inscrit au sol, en créant différents rapports dialectiques : d’une part une ligne de transcendance entre les objets exposés et la structure diaphane en verticale, privée de poids, où la morphologie de l’espace se transforme en une vision de lumière et de spiritualité. D’autre part un rapport communicatif entre les différentes pièces qui se traduit selon l’orientation du regard.

L’ensemble hétérogène d’éléments présenté ici, est constitué de formes fabriquées au cours de ces trois dernières années, principalement en Inde. Les premières séries faites en 2003 consistent en un jeu de volumes en verre soufflé argenté qui s’alternent avec des petites pierres taillées par séries, en forme de galets puis enfin des bâtons en verre étirés. Au début de 2004, les cylindres d’acier émaillé se sont rajoutés, fabriqués en même temps que d’autres formes en acier émaillé qui accompagnent les miroirs montrés dans la crypte de la chapelle. Enfin des tubes de verre creux argentés datent de la fin de l’année dernière.

La composition sur l’axe longitudinal de la chapelle procède d’une organisation brownienne de l’espace auquel s’imprime le léger mouvement d’une danse à trois temps. Les objets en verre argenté scandent l’espace, établissent l’échelle, et dans leur écartement proposent des cheminements qui organisent la mise en espace des éléments avoisinants. Chacune des différentes configurations révèle, de cette façon, l’origine et la logique de fabrication : extension et allongement des baguettes de verre, étirement pour les tubes d’acier, taille soustractive pour les petites pierres, gonflement pour les éléments en verre soufflé.

Chaque géométrie s’irradie, forme un territoire, les verres argentés en le dédoublant, les autres par creusement, ponctuation, réfraction. En plus, les éléments argentés disposent d’une qualité particulière : de tenir à distance la surface superficielle, tactile et la surface réfléchissante puisque l’argenture est déposée sur l’envers, à l’intérieur des volumes.

Chaque objet, chaque installation joue de ce double ressentiment d’einfühlung, selon la philosophie de la gestaltlehre, d’une part, le corps du spectateur se retrouve dans un espace cartésien de mesure et va à la rencontre de tel ou tel objet dont la superficie est remémorée grâce au souvenir tactile. L’œil ne fait qu’effleurer les surfaces. Mais dans un deuxième temps, l’œil est piégé par le reflet des pièces argentées, là où un autre type de cohérence s’installe. En se raccommodant, l’œil pénètre ce deuxième univers, sans échelle constante, le corps reste dehors, en attente, diminué par l’œil, plus agile qui va au-delà et devant. À travers ces différentes phases du processus optique, dans cet aller –retour constant, le spectateur retient un sentiment particulier qu’on pourrait qualifier, en reprenant le terme dont se sert Rosalind Krauss, de pulsatile[1].

De même la deuxième partie de l’exposition reprend, à divers titres, ces dispositifs de dédoublement qui caractérisent surtout le travail plus récent de Peter Briggs. La variété des matériaux, à partir du verre des lentilles optiques, jusqu’à l’obsidienne, correspond à une autre citation du récit architectural, en transmettant l’idée des matériaux précieux utilisés comme décoration ornementale et des vitraux lancés en verticale, sources éternelles de lumière.

La géométrie que l’artiste introduit dans l’architecture de l’espace est visible, celle de la transparence mais aussi une autre invisible, celle de la transcendance. C’est avec les mots de Elio Vittorini qui expriment la nostalgie d’un monde ( gothique) avec un centre doté du sens, qu’à cause de quelque chose qui n’est pas corporelle, ce qui est solide vient se soustraire aux lois de la nature et le contraint à se lever…

[1] Voir Rosalind E Krauss, The Optical Unconscious, 1998, M.I.T,/October Books p. 197 et seq.

Elisabeth Sarah Gluckstein

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