Troisième Biennale de Sculpture, Yerres, 2011

 

« Enfants, nous étions peintre, modeleur, botaniste, sculpteur, architecte, chasseur, explorateur. De tout cela qu’est-il advenu ? »
Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté : essai sur l’imagination de la matière.

Noir c’est Voir

La sculpture Over and over again de Peter Briggs, est une œuvre qui donne à voir l’espace comme forme a priori de notre sensibilité. Toutefois, si l’espace est une condition de notre perception, il n’empêche que par le geste sculptural, l’œuvre révèle cette condition subjective de notre représentation au monde et participe à sa transformation. Si je ne puis rien connaitre sans l’espace, je peux néanmoins expérimenter esthétiquement cette donnée première et faire advenir l’être de l’espace. Avec l’œuvre Over and over again, l’espace acquiert une puissance dynamique et le sujet entre en résonnance avec la matérialité et l’immatérialité de l’œuvre.

Pour l’artiste, il s’agissait déjà dans les années 70 de trouver trois réponses à une question « comment occuper spatialement par un triple dispositif les emplacements proposés dans une configuration de type white cube ? » Chez Foucault, le dispositif est un piège de la visibilité, chez Briggs, il est un piège de la spatialité. Il donne à voir au-delà de ce qui est à voir, il permet d’activer l’espace et de comprendre activement l’émergence de l’énergie qui se dessine.

L’exposition à la Biennale de Paris en 1980 a été l’un des aboutissements de ces interrogations sur la dynamique spatiale et l’énergie du lieu. Un élément en verre découpé et peint occupait un angle, une autre fabriqué avec des blocs d’ardoise et du sable de fonderie était posé au sol et un troisième en acier – proche des œuvres exposées à Yerres -, était posé en parallèle avec le mur formant un couloir d’espace entre le dos des sculptures et celui-ci. Chaque élément activait l’espace, et l’artiste en devenait le démiurge.

Over and over again, un sous ensemble de cette série, est constitué comme pour les autres de deux plaques d’acier, des fins de rouleaux. David Smith s’en était servi également lors de son séjour à Voltri en 1962. Là ou le laminage s’arrête, l’acier perd en épaisseur, un côté est effilé et arrondi. Les deux plaques portent en elles la trace du flot de l’acier interrompu venant soudain troubler avec égard et patience ce qui vient au monde. La matière dans son être de repos et de résistance entre en résonnance avec l’espace. La sculpture ouvre l’espace, le dynamise, le modèle de l’intérieur. La surface est active, elle a une vie dynamique propre. Elle est travaillée et tiraillée entre le coefficient d’adversité et de résistance de la matière et celui de la gestualité et de la maîtrise. Avec l’aide d’un forgeron, le haut de chaque plaque a été ramené, retourné vers l’avant, rendant la surface arrière de chaque feuille tout juste visible. Deux opérations s’en suivaient, un pied a été retranché dans la masse de la feuille et ramené en arrière, et une tranche ôtée du bas de la partie restante pour compenser la triangulation ainsi obtenue, et pour rétablir la verticalité de la plaque. La réserve d’espace-en-couloir créée à l’arrière des pièces est ramenée à l’avant par ces deux opérations et augmente leur frontalité, on se trouve à la fois dans l’espace de l’avant-scène et de l’arrière corridor en écho avec la verticalité du mur.

Ce qui advient, c’est non seulement l’espace avec ses résonnances, ses vides, sa matérialité et son immatérialité mais aussi par l’articulation avec la qualité des matériaux, la prédominance des noirs et la dynamique des surfaces un dessin d’énergie entre l’intérieur et l’extérieur s’engage. Avec Briggs, l’alchimie à l’œuvre donne à voir.

Voir c’est noir.

Cécile Marie-Castanet