Travaux fabriqués pendant la résidence de l’artiste en Inde à la Fondation Sanskriti Kendra, Delhi en 2000-2001 : bronzes peints en blanc, miroirs, pierres tournées, plaques émaillées, montrés à la galerie de Peter Nagy qui venait d’ouvrir dans ses locaux à Haus Khas, Delhi.
TEXTE DE PRÉSENTATION DU SÉJOUR EN INDE À LA FONDATION SANSKRITI KENDRA
Comme le titre de l’exposition l’indique, Nexus (exposition de mes travaux réalisés en Inde, Galerie Nature Morte, Dehli, courant mars 2001), l’essentiel de mon travail en Inde consistait à mettre en place l’articulation entre deux phases dans mes recherches, l’une retrospective, l’autre prospective. Dans le projet initial présenté à l’ AFAA, le projet devait se structurer en deux temps: le premier, autour de la fonderie, devait se dérouler dans le Tamil Nadu, à quelques deux mille kilomètres de Dehli. La grande distance, et les délais propres à la production d’un artisan traditionnel ont rendu cette façon de faire impossible, malgré le grand intérêt d’une collaboration de ce type. J’ai adopté une solution plus souple : une fonderie dans la banlieue de Dehli a assuré le travail. J’ai pu effectuer un travail de documentation dans la bibliothèque de la Fondation Sanskriti Kendra sur l’application des canons de proportion, puis sur les traditions des tribus dans les régions de l’Est et du Nord de l’Inde pour compléter cet aspect de mon travail. La partie concernant la taille de pierre s’est déroulée dans d’assez bonnes conditions dans les environs de Dehli. En effet le Rajasthan tout proche offre toute une série de pierres – des grès, des marbres – et une industrie et des artisans très qualifiés.
Pendant les six premières semaines de mon séjour j’ai travaillé essentiellement sur des modelages en cire destines à la fonderie, 24 en tout, en trois groupes, puis plus tard une série de 9 cloches, et enfin six reliefs et diverses plaques.
Dans un premier temps, j’ai travaillé également un texte pour accompagner ma participation à une exposition de groupe à Naples (*voir texte en annexe: Figli di Nerone – autour de la mise en place d’une de mes pièces, un dessin découpé en acier.) Lors des travaux au 17ème siècle, on avait déterré à un carrefour une petite sculpture grecque de l’époque classique figurant le dieu du Nil. Cette sculpture est actuellement installée sur un socle sur ce même carrefour. Il s’agit d’un homme allongé assez proche des figures sur les urnes funéraires étrusques. C’est cette position supine qui est à l’origine de la configuration de ce premier ensemble de modelages, à part le corps qui est ‘en creux’, dispersé dans la structure même de la pièce. Il ne reste qu’une enveloppe décharnée, déployée dans des attitudes diverses. D’autres pièces ont suivi traitant de différentes manières ce problème de dispersion d’éléments corporels dans une structure. Une série de pièces commencée à Sèvres en 1997 a marqué le début d’une réflexion sur l’assemblage d’éléments en porcelaine, repris en cire dans le cas actuel pour être réalisés par la suite en fonderie. Ces éléments destinés à être dissociés et rassemblés prennent part à un jeu complexe de déclinaison et déconstruction, un collage tri-dimensionnel.
La fabrication de cette série a été accompagnée par la lecture d’un récit étonnant d’une jeune femme, victime d’un cancer de la mâchoire, et de ses expériences avec la chirugie ésthétique, ce qui me donnait une vision déconcertante des déplacements des parties du corps vers des destinations lointaines. Enfin la troisième série ‘Womb Room’, reprend un élément dans l`architecture des temples de l’Inde, les Sikhara, ces tours coniques qui s’élèvent au-dessus du lieu saint qui contient le Shivalingam, formant un ensemble qui s’appelle Garbagriha, ‘Chambre Uterine’. Une partie du mois de décembre était passé en voyage pour étudier les variations régionales de ces tours présentes sur des temples, ainsi que leur rayonnement à travers le Karnataka sous des formes diverses: soit de vraies tours, ou élément de décoration sous forme de citation en relief, ou bien maquette réduite dans l’architecture même des structures, et aussi sous forme de structures hybrides. Ce dispositif, presque post-modern s’échelonne sur 200 ans du nord au sud de la région du Karnataka. J’ai visité quelques 30 sites autour de quatre centres, Mysore et Hassan, pour la partie majoritairement Hoysala, puis Hampi et Badami pour la partie des Chalukya du Sud Ce premier lot de travaux marque la fin d’une longue série de pièces coulées commencée en 1986, peu avant mon premier déplacement en Inde. Il était important, pour pouvoir clore cette série, de la faire en Inde, telle était mon intention depuis le début. J’ai pu en faire le deuil, revisitant les lieux qui l’avaient déclenchée.
Pendant la période précédant mon séjour, j’ai beaucoup travaillé la notion de la représentation de territoire, à la fois comme élément géographique mais également sous son aspect optique: le champ visuel comme une extension du territoire du corps, et en particulier son application aux miroirs convexes en tant que prothèses visuelles. A partir de collages fabriqués avec des chutes de papier pendant l’été 2000 (**voir texte sur Naples pour une explication technique), et d’autres dessins préparatoires destinés à l’origine à la fabrication de ces miroirs convexes, j’ai entrepris la deuxième partie de mon travail sur des supports divers, relevant à chaque fois du domaine de la représentation de territoire, et toujours sous forme de relief, aussi ultra-mince soit-il. Dans un premier temps les dessins en tant que tels ont été réalisés sous forme de plaques émaillées en noir et blanc. Une première couche uniforme est cuite sur la plaque d’acier, puis une couche crue posée. Je suis intervenu ensuite, grattant cette couche puis en attaquant les bords, formant un trait en dents de scie, puis en ôtant la partie restante pour dévoiler le fond blanc. Le motif apparaît ainsi en noir, en léger relief sur blanc. Ces pièces sont destinées à être montrées au mur, tenues en place par des plaques aimantées. Elles montrent une série de variations, réalisées par informatique à l’origine puis transférées par projection, pour être enfin fixées par cuisson sur l’acier d’une manière permanente. D’autres plaques de plus petites dimensions, découpées cette fois-ci et émaillées en noir d’une manière uniforme sont prévues pour être montrées d’une manière horizontale avec une pièce en verre soufflé argentée posée au centre. Le dessin est repris dans le reflet, nappant la partie inférieure de l’objet en verre, enserrant le dessin dans l’image renvoyée.
La série que j’intitule, faute de mieux, ‘Polylobe’, a été mise en production en même temps. Il s’agit de reliefs en marbre dont les contours suivent les mêmes dessins que les pièces précédentes. A partir d’une maquette en relief la série a été taillée par un artisan dans des plaques de marbre épaisses avec un polissage rendant la surface réfléchissante à divers dégrés selon la nature de la pierre. L’influence du baroque napolitain est sûrement à l’origine de cette réapparition de l’utilisation du marbre, un matériau que j’avais mis de côté vers 1985. La mise en forme du relief est en soi un système d’auto-représentation, surtout quand il s’agit de formes abstraites: plus le relief est faible plus il y a représentation. La conceptualisation de ce constat nous offre un monde avec deux coordonnés fixes, x et y, mais avec un troisième variable, z, en accordéon. C’est l’extension de cette troisième dimension vers nous qui définit la problématique du relief. Les contours collés sur le plan du fond, il s’agit d’une articulation vers le sommet du relief, et surtout de l’articulation des couches successives intermédiaires entre elles dans une progression inégale. En effet, ce passage des bords en x et y vers le plat du sommet ne saurait être régulier car le principe de l’auto-représentation ne marche que si chaque couche en reculant du premier plan, occupe de moins en moins le champ visuel, une mise en abîme, un système de recouvrement progressif. Comment obtenir cette mise en abîme automatique? Telle est la question que je me pose depuis quelques années, en faisant des essais de mise en réserve de parties d’informes dans les volumes que j’ai créés de façon à laisser la couche qui signifie en surface. La traduction de ce principe passe par l’idée de gonflement ou de turgidité des surfaces. Cet aspect que les tailleurs de pierre appellent ‘tirer une surface’ correspond à maintenir l’accélération des courbes d’une manière constante selon une logique interne. Le ‘slumping’, technique de thermoformage du verre où la gravitation assure la mise en volume du verre tenu seulement par les bords, est utilisé pour produire des formes de coupes. C’est ce principe que j’ai adopté pour mettre en forme les volumes en verre que j’ai appelés Barocco Mirrors . Ce terme portugais décrit les perles formées autour d’objets irréguliers par le dépôt de couches de nacre, un système d’augmentation des volumes et donc des surfaces. Tenu par un cadre métallique, le verre a pris lui-même cette forme courbe irrégulière obéissant aux principes d’auto-représentation avec en plus la projection du reflet qui en résulte. Les qualités des reflets obtenus varient selon la cuisson des pièces. Pensant à cette mise en relief variable, j’ai fabriqué une autre série réfléchissante à partir de plaques de cire coulées en bronze puis électro-plaquées en argent. Modelées de droite à gauche avec un degré de relief variable, ces pièces se mettent progressivement en volume passant d’une forme retournée vers une forme aplatie . D’autres plaques seront fabriquées en porcelaine argentées à la feuille pour l’exposition de Mulhouse fin 2001.
La dernière série de pieces reprend un petit segment d’un des dessins qui sont à l’origine de plusieurs de ces pièces. Descendant l’escalier de la chambre un matin, j’ai vu le tas de dessins à l’envers avec un bord qui dépassait. Voulant les réaliser en volume, j’ai eu l’idée d’utiliser comme patron de tournage ce profil et d’en faire une forme en trois dimensions. Connaissant les piliers des temples du Karnataka en pierre polie tournée sur des tours verticaux (mûs par des éléphants), je me suis adressé à un de ces marchands qui abondent à la sortie sud de Dehli et qui propose un choix pléthorique de mobilier en marbre de toutes les couleurs. De fil en aiguille, j’ai pu mettre la main sur un fabricant, et le convaincre de me faire ces volumes. Cinq pièces tournées ont étés fabriquées ainsi qu’une série de formes rondes, des agrandissements des ‘galets’ que j’avais modelés. Les formes sont regroupées associées avec les miroirs dans l’installation de Dehli, l’architecture du lieu, hémisphérique, joue avec cette juxtaposition, renvoyant par le reflet vers les autres sections de l’exposition. Ce problème du profil est une extension du concept du relief automatique défini dans un plan en profil, mais mise en forme par une rotation. Travaillant à la Manufacture de Sèvres ces derniers temps, j’etais assisté par quelqu’un qui en temps normal s’occupait de la correction de pièces moulées, dont le vase conçu par Rodin. Celui-ci avait imaginé de prendre le profil d’un dessin d’un couple et de l’extruder dans l’espace de façon à en faire un volume continu, une main courante en quelque sorte, qui a servi de moulure sur un de ses socles. Comme on le sait, le sens du toucher transmis par les mains est dû à differentes couches de l’épiderme. Le plus superficiel ne transmet un signal au cerveau qu’un temps, le signal s’estompe avec le temps. Un signal continu est obtenu par contre si la main ou l’objet se déplace ou si l’on exerce une pression forte. Je pense que la main courante de Rodin pourrait être lue dans ce sens, c’est à dire comme un émetteur de signal continu ; on se demande même si les objets en rotation, les pots tournés par la main du potier par exemple, n’auraient pas pu être à l’origine de cette interrogation lorsqu’il avait travaillé à Sèvres. En tout cas la proximité de ces vases m’a interrogé, je n’ai pas pu faire des essais au tour pour mon compte tout de suite faute de moyens matériels, j’ai simplement tourné quelques formes en plâtre à titre d’essai et c’est finalement les artisans indiens qui m’ont permis de réaliser en pierre l’ensemble que vous pourriez voir en photo. C’est in extremis que ces pièces tournées ont étés terminées, elles sont arrivées à 21h30 la veille du vernissage de l’exposition à la Galerie Nature Morte. Installées au centre d’un arc de cercle où les miroirs se trouvaient fixés au murs, une dialectique a été créée entre les origines de ces différentes formes. Revenant de la France, j’ai pu apporter pour l’exposition des pièces en verre soufflé argenté que j’avais fabriquées précédemment, que j’ai mises en vis à vis avec des galets noirs indiens pour faire une pièce véritablement franco-indienne. Par ailleurs, j’ai fabriqué des pièces qui ne figurent pas dans cette exposition: quatre-vingt-seize petites pièces en céramique en china clay de qualité exécrable. Il s’agit de la seule réalisation ou le Sanskriti Kendra s’est occupé de la production. La terre s’est avérée être un grès très ordinaire, les pièces sont sorties intactes mais avec une coloration terne, j’ai décidé d’attendre leur retour en France et éventuellement de les peindre plus tard.
Peter Briggs
www.artfacts.net
www.naturemorte.com