AU DOIGT ET A L’OEIL, EXUO, TOURS, 17/11/2022 > 31/12/2022

Au doigt et à l’œil, exposition coopérative à quatre mains avec Amélie de Beauffort, Céline Robert et Christian Bonnefoi

« Le voyeur optique, le collectionneur tactile »

Deux propositions sont juxtaposées en enfilade dans cette exposition de productions à quatre mains

1.Camera obscura immobilis[1],

La première salle qui donne, avec sa vitrine, sur la rue de la Fuye, est partiellement masquée par un rideau noir obturateur : dans un entrebâillement au centre, telle une mire, est installé un tableau à double face de Christian Bonnefoi.

A l’intérieur de cet espace clos prend place un jeu de miroirs convexes. Ils s’ouvrent sur les espaces virtuels hétérotopiques, creusent les murs : ceux-ci s’en sortiront renforcés dans leur solide matérialité. Tout se passe entre le reflet, l’opacité et la transparence

Alors que la toile va fonctionner bilatéralement, en percée, intérieur/extérieure, les miroirs tournent le dos à l’architecture et font obstinément face aux spectateurs dans une frontalité emblématique. Tout est visible, pas besoin d’un long discours pour le découvrir.

Ce dispositif en chambre optique (dialogue entre Bonnefoi et Briggs, se prolonge dans l’arriè

re-boutique par une autre proposition, elle, tactile, réalisée avec Amélie de Beauffort et Céline Robert, plus compliquée à saisir.

 

2.Bras de faire

Trois types de propositions s’avoisinent ici : des pièces non orientées, fabriquées à quatre mains, littéralement, autour d’une masse de terre, les deux auteur.e.s atablé.e.s face-à-face. Émaillées et cuites à haute température, elles sont posées sur des flaques de verre noir. En deuxième lieu des pièces montées, auto stables, partant d’une base chaque poignée de terre se superpose à la précédente dans un équilibre fragile. Maintenues pendant le temps du séchage, embrochées, la fine tige de bois est retirée à temps avant une application de l’englobe et la cuisson.

La troisième série se travaille en suspension autour d’une grosse ficelle attachée à une poutrelle. Les deux personnes sont debout face à face et chacun, à son tour augmente la masse de terre de haut en bas par une poignée supplémentaire. La ficelle disparaît dans la cuisson et est remplacée par un fil de fer qui permet de suspendre de nouveaux les pièces sorties du four.

L’ensemble de ses modelages à quatre mains est réalisé en porcelaine

Une rencontre a lieu à travers un choix de matière et une entente qui se construit sur une évolution où chacun.e apporte tour à tour une solution temporaire. Un moteur à deux temps. Chaque geste vient en addition / superposition sans pour autant défaire la logique structurelle qui s’établit par un consentement mutuel – comme une poignée de main diplomatique qui engage les participants dans un contrat de solidarité.

Un travail en alternance qui respecte les contraintes de la matière : un jeu d’échecs évités de justesse par une réinvention permanente de l’entente entre les protagonistes.

Une répétition des gestes, chacun décisifs, aboutissent à une construction dont l’aspiration à quelque chose à la fois d’une croissance spontanée mais dans une logique organique complémentaire et modificateur sur l’existant qui ramène l’hétérogénéité inévitable vers une circonspection, un accord consenti.

 

S’agissant pour chacune des trois typologies de montages additifs, une spécificité articulative des modes d’assemblage se met en place où l’un apprend de l’autre, appreneur et apprenant à parts égales, Un laisser-faire de pongistes qui joueraient du même côté du filet contre un mur.

Un jeu où chacun hasarde un engagement sur un schéma constructif par une addition alternée où rejoue en playback une fin relayée. Aboutissement où chacun prend la mesure de l’inachèvement provoqué par l’autre et prend soin de ne pas prendre la main sur ce non finito.

La fin de partie se construit sur un accord sur la justesse de l’alternance et équilibre structurant, un lâcher prise et reprise. Avec un regard rétrospectif sur la typologie spécifique à chaque rencontre – conclusion – collusion, collaboration, d’une perte volontaire de l’identité – ce qui se perd dans ce qui s’ajoute.

La question de l’auteur.e : disons-le autrement, une individuation propre à chacun.e autour d’un projet partagé.

S’agit-il d’une auto-injonction paradoxale ? On est d’accord pour dire que ça ne ressemble à rien d’autre que l’index de sa propre itération. Malgré nous et malgré tout, on continue et ça finit par advenir, prendre corps.

Narcisse et Écho – « Viens vers moi », et la même voix lui répond les mêmes mots « Viens vers moi ».

 

Deux propositions gérées différemment s’avoisinent dans cette manifestation, celle, optique, négociéé à distance est dans la continuité d’échanges au long cours de textes et de travaux. La partie tactile est le fruit de rendez-vous d’atelier, sur des temps dédiés courts et assez récents, d’expérimentations spontanées nées de ces rencontres ponctuelles. Elles ont en commun d’être collaboratives, de remettre en cause la nécessité de l’unicité de l’auteur.e et de son identité indivisible.

[1] On trouve cette terminologie notamment dans le livre de Helmut Gernsheim, The History of Photography. From the Earliest Use of the Camera Obscura in the Eleventh Century up to 1914, London, Oxford University Press, 1955.