Nature d’enfance
Son territoire c’est la mémoire, terre d’enfance dont il tente de trouver l’innocence. Innocence jamais perdue, mais fuyante, fragile, se glissant parfois hors du temps. L’oeuvre de Peter Briggs est empreint de cette pureté, de cette ingénuité. Qu’il sculpte ou compose des collages il revient toujours vers ce lieu. Non comme une mélancolique nostalgie, mais pour en transmettre le parfum, en traduire la jouissance répétitive et jamais inassouvie. Passé imprégné d’amour et de sensualité. Premiers désirs mêlés à une confusion de sentiments où la nature est l’acteur de toutes les pulsions.
Cette nature, Peter Briggs, d’origine anglaise, la connaît. Nature domestiquée, sophistiquée, façonnée aux rêves des hommes. Son père est botaniste. Très vite l’enfant est attiré par ces vergers où les arbres se plient à l’imagination délirante des horticulteurs. Il en est le témoin attentif lorsqu’il se rend tous les jours à l’école. Jardins extraordinaires aux greffes hybrides dont il gardera à jamais la vision baroque et dont on retrouvera la trace dans ses sculptures. Dans ce geste il voit déjà la main d’un artiste.
Artiste lui-même, il n’aura de cesse de dévoiler ce regard d’enfance. Ses sculpture seront animées par la passion et l’énergie contenue comme les flammes sorties de terre. Bronzes aux ramifications ondoyantes, acérées, brûlantes. Puis les formes s’alanguiront, suites d’entrelacs, de noeuds et de lacets renfermant toujours la même sensualité. Vertige qui provoque l’espace et la nature.
Peter Briggs signe ses oeuvres comme les aveux. Aveux de fidélité à une mémoire, aveux de d’une fierté suprême à maîtriser ce temps que désormais il retient prisonnier. Il est là et ne peut plus s’enfuir. Son dessin est celui de l’artiste.
Des sculptures aux collages on retrouve le même fil ténu du souvenir. Celui, cette fois, de la librairie de son oncle, installée dans une cave. Là, sur d’immenses rayonnages, s’empilent des livres d’occasion. Peter Briggs pioche, feuillette, rêve, imagine d’autres histoires. Ce n’est donc pas un hasard si une livre intitulé » L’arboriculture fruitière en images » sert de base à ses collages. Mais avant de pouvoir s’emparer de ce matériau, reflet d’une émotion retrouvé, il lui faut procéder à une mise en abîme de l’image. Il détourne des cartes postales. Efface en partie leur mémoire, impose las sienne par des fragments virulents de statuaire dont il choisit et dessine le sujet. Cette manipulation de l’histoire et de l’espace le conduit vers une efflorescence d’images dont il va être l’organisateur. Chaos qui n’a d’autre but que de déboucher sur des représentations emblématiques où la nature fragmentée, mystérieuse se révèle à elle-même.
A la manière d’un musicien, Peter Briggs compose une partition dans laquelle la matière devient argument. Il superpose cartes postales, dessins, pages de livres, encre et textes. Ainsi dans un va-et-vient fugace, s’effacent et ressurgissent les émois de cette nature qui désormais lui appartient. Dans ces caprices du temps, imposé par l’artiste, le regard se laisse séduire par un extrait de phrase imprimée. Mots hiéroglyphiques dont le sens général nous échappe. Autour, l’eau glacée d’un lac devient songe, un roc monstre menaçant et les feuilles d’un arbre des mains tendues pour saisir les cieux. Tout l’univers de Peter Briggs est là. Univers de désir de beauté secrète. Ses sculptures et ses collages ne parlent que de ça. De la volupté des rêves aussi, comme de cet îlot de l’enfance où l’innocence part à la dérive. Plutôt que de la laisser s’évanouir dans les brumes du souvenir Peter Briggs en capte l’émotion et la porte jusqu’à nous.
Dans une vérité nue qui provoque et enchante.
Jean-Louis PINTE
Briggs, Peter, Collages; Texte: Pinte, Jean-Louis, Nature d’Enfance; Église Saint-Savinien; France; Les Editions du Cinq; 1994 (Photos: Jean Baptiste Darrasse, Exhibition and catalogue design: Michèle Guitton)